En 2019, le rapport des Petits Frères des Pauvres annonçait que plus d’un quart des seniors n’utiliserait jamais Internet. Fracture numérique certaine, pour un public qui englobe une large tranche d’âge, allant de 60 ans à plus de 90. Ainsi, les projets des acteurs sociaux se multiplient. Certains proposent des temps d’ateliers gratuits, où l’on apprend les bases du numérique. D’autres ont choisi le divertissement par le e-sport comme passerelle d’apprentissages. Tous tirent le même constat : ce n’est pas d’une réconciliation dont ils ont besoin, mais d’un accompagnement humain.
« Fâchés avec le numérique ? Non. Ils sont surtout curieux. Curieux et perdus » nous apprend Yann Hontebeyrie, intervenant pour Cybernadette, un projet qui déploie des ateliers gratuits d’initiation au numérique dans les communes volontaires de la Gironde. Le slogan dédramatise d’emblée le sujet : « Cybernadette, le numérique sans prise de tête, et avec des chouquettes ! ».
« C’est vrai qu’on passe un moment ensemble, pas forcément avec des chouquettes, ça peut être cidre et petits boudoirs, mais c’est convivial. L’aspect social du projet est très important. C’est un club, comme ils en ont souvent pour jouer à la belote ou autres. Dans certains on tape le carton, là on fait du numérique. C’est ludique » explique le formateur, ex-informaticien.
Pour l’association Silver Geek, le ludique, c’est la clé. La structure, née à Poitiers en 2012, s’est créée sur cette envie de résorber la fracture numérique des seniors d’une manière plus humaine, et plus fun. Leur concept marche si bien qu’il existe des antennes Silver Geek dans toute la France désormais. Voici la recette : des jeunes volontaires en service civique viennent, le temps de leur mission, faire découvrir aux personnes âgées d’un EPHAD (ou d’une RPA, centre d’action sociale, asso…) volontaires elles aussi, la Wii Bowling. Ensemble, ils apprennent le jeu et l’utilisation de la console, et pour ceux qui accrochent bien, Silver Geek les emmènent en compétition. La Gamers Assembly d’abord, puis la Paris Games Week pour les champion.ne.s.
« La Wii Bowling, c’est le top ! s’exclame la présidente de Silver Geek, Brigitte Tondusson. On ne sait pas trop pourquoi ça leur plaît autant… Je me dis que ça doit leur rappeler la pétanque pendant leurs vacances. Mais c’est fou l’ambiance que ça crée, il y a de l’adrénaline côté joueurs comme spectateurs. Une joueuse m’a confié une fois l’émotion forte que ça lui avait causée, elle m’a dit ‘c’était la première fois qu’on criait mon nom’ » se souvient Brigitte.
vidéo Silver Geek prise lors de la JapanExpo 2022, qui donne une idée de l’ambiance qui règne lors des compétitions seniors
On sent bien qu’il s’agit plus de désinhiber et de faire prendre confiance à ce public éloigné du numérique, plutôt que de leur apprendre cent choses à accomplir devant l’écran. Comme avec une langue étrangère, une fois la pudeur levée et la peur dépassée, l’élève peut tout.
« Beaucoup n’osent pas, confirme Yann de Cybernadette, mais ils veulent vraiment s’inscrire dans le paysage numérique. Si certains utilisent déjà un peu le mail, faire sa déclaration d’impôts sur Internet, bah ça fait peur. On est là pour les rassurer et les accompagner ».
Si du côté des jeux vidéos, c’est la Wii Bowling qui l’emporte haut la main selon Silver Geek, côté outils du quotidiens, WhatsApp et la commande vocale seraient les plus populaires.
« Savoir utiliser WhatsApp est un objectif pour beaucoup de participants » raconte Yann. Les membres de Silver Geek, qui dispensent des ateliers tablettes de type Cybernadette en parallèle des sessions de e-sport, remarquent la même tendance. « En 2012, tous voulaient apprendre à utiliser Skype pour parler avec la famille qui était loin, ça a été une vraie révolution. Maintenant, avec les smartphones, savoir utiliser WhatsApp ou Messenger est plus demandé que Skype » souligne la présidente de l’association poitevine. En tout cas, l’urgence de maitriser, ne serait-ce qu’un peu de numérique, quelques applications, pour pouvoir conserver et entretenir les liens familiaux et amicaux apparaît comme une priorité.
Du jeu, des petits boudoirs, des compétitions avec des gradins remplis, on est loin de la caricature montrant des seniors excédés et seuls vitupérant des machines muettes qui leurs voudraient du mal (et inversement). Si tous les seniors ne sont pas en fracture numérique, un quart des français reste concerné. Des jeunes, qui vont sur Instagram mais seraient bien en peine de remplir un formulaire sur le site de la Préfecture, des actifs, qui n’utilisent pas l’ordinateur dans leur travail et rencontrent des difficultés d’accès aux droits parce qu’ils ne sont pas à l’aise sur le net, des personnes non-valides qui souffrent du manque d’accessibilité du web, des étrangers qui ne parlent pas la langue, des illettrés. La liste est trop longue. Si le social est le point commun entre les approches de Cybernadette et Silver Geek interrogés ici, peut-être doit-il se poser au cœur des réponses apportées demain à tous ceux qui figurent dans la liste.
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Nathalie Troquereau
Lire le rapport Les Petits Frères des Pauvres
NDLR : Cybernadette est un projet porté par Médias-Cité